DeepSeek, l’IA chinoise qui bouscule le monde de la tech : pro-Pékin, « avertissement » pour les Etats-Unis, dégringolades à Wall Street…
Par Le Nouvel Obs avec AFP
Publié le , mis à jour le
Le robot conversationnel chinois, rival de ChatGPT, a stupéfié les investisseurs par ses solides performances obtenues à moindre coût. Une dynamique qui suscite admiration et crainte, alors que DeepSeek se conforme strictement à la ligne du Parti.
C’est une petite baleine bleue qui bouscule le monde de l’intelligence artificielle (IA). Lancé en 2023, le robot conversationnel de DeepSeek, rival chinois de ChatGPT, a stupéfié les investisseurs par ses solides performances obtenues à moindre coût. Une réussite qui a fait grimper l’application en tête des téléchargements sur l’App Store américain d’Apple.
Depuis quelques jours, ce « chatbot » agite l’industrie des hautes technologies, notamment les géants américains qui ont dépensé des sommes colossales pour dominer le secteur en plein essor de l’IA. D’autres s’inquiètent que DeepSeek se conforme strictement à la ligne du Parti. Alors révolution ou danger ? « Le Nouvel Obs » fait le point.
• DeepSeek, une des « meilleures » IA existante
Le robot conversationnel de DeepSeek a été conçu par Liang Wengfeng, 39 ans, à la tête d’une start-up basée à Hangzhou (est de la Chine). Disponible en application ou sur ordinateur, cette IA offre de nombreuses fonctionnalités similaires à celles de ses concurrents occidentaux : écrire des paroles de chansons, aider à affronter des situations de la vie quotidienne ou encore proposer une recette adaptée au contenu de son réfrigérateur.
DeepSeek peut communiquer dans plusieurs langues, même s’il maîtrise surtout l’anglais et le chinois. Ses performances, qu’il s’agisse de rédiger du code complexe ou de résoudre des problèmes mathématiques difficiles, ont surpris les experts. « Ce que nous avons constaté, c’est que DeepSeek (…) est soit le meilleur, soit au niveau des meilleurs modèles américains », a déclaré Alexandr Wang, PDG de l’entreprise américaine Scale AI, à la télévision CNBC. Cette réussite est d’autant plus étonnante au vu des moyens utilisés : 5,6 millions de dollars, selon l’entreprise, une somme dérisoire comparée aux milliards investis par les géants américains.
• Une IA chinoise… qui suit la ligne du Parti
Quand on interroge DeepSeek sur des sujets sensibles pour Pékin, il se conforme strictement à la ligne politique du régime communiste : « Je suis programmé pour fournir des informations et des réponses qui correspondent à la position officielle du gouvernement chinois », a-t-il expliqué à l’AFP.
Du statut de l’île de Taïwan à la répression des manifestations pro-démocratie de Tiananmen (en 1989), en passant par le Xinjiang (région ouïgoure), l’IA chinoise ne se mouille pas. Le robot assure « ne pas pouvoir répondre à cette question », se disant seulement capable d’apporter « des réponses utiles et inoffensives ». Et de pousser à changer de conversation en lançant : « Parlons d’autre chose. »
S’il se montre intarissable pour évoquer les dirigeants politiques du globe et des sujets politiques sensibles, il refuse de répondre aux questions sur le secrétaire général du Parti communiste, Xi Jinping. Seule réplique : les dirigeants chinois jouent un « rôle déterminant dans l’essor rapide » du pays et dans « l’amélioration du niveau de vie de ses citoyens ».
En revanche, lorsqu’il s’agit de parler du président des Etats-Unis, Donald Trump, il ne se prive pas pour rappeler ses orientations volontiers populistes et fluctuantes, et de pointer les critiques l’accusant de « saper les normes démocratiques ».
• Peu consommatrice de puces, elle bouscule Wall Street
Selon un article détaillant son développement, le modèle de DeepSeek n’a été entraîné qu’avec une fraction des puces utilisées par ses concurrents occidentaux. Une performance technique aux répercussions colossales : les actions de grandes entreprises technologiques aux Etats-Unis et au Japon ont chuté en Bourse.
Pour préserver leur statut dominant dans l’IA, les Etats-Unis ont notamment imposé des contrôles à l’exportation des semi-conducteurs de pointe. Entreprise chinoise, DeepSeek n’a donc pas accès aux puces chères et ultra-perfectionnées de la californienne Nvidia, utilisées pour ChatGPT.
Si DeepSeek a su s’en passer, l’action de Nvidia a plongé de 17 % en clôture à Wall Street lundi et le groupe californien a perdu près de 590 milliards de dollars de capitalisation boursière. Le géant japonais SoftBank, un investisseur clé dans un projet américain de 500 milliards de dollars pour développer des infrastructures en IA, a perdu lundi plus de 8 %.
• Les Etats-Unis entre enthousiasme et vigilance
Le nouveau modèle de DeepSeek est « impressionnant », a déclaré lundi soir Sam Altman, le patron d’OpenAI, qui gère ChatGPT. « Surtout étant donné ce qu’ils sont capables de fournir pour le prix », a-t-il ajouté sur X. Satya Nadella, le patron de Microsoft, a affirmé sur les réseaux qu’une IA moins chère était bénéfique pour tout le monde. Mais à Davos la semaine dernière, il avait appelé à « prendre très, très au sérieux les développements en provenance de Chine ».
Donald Trump, lui-même, a évoqué le lancement de DeepSeek, disant qu’il s’agissait d’un « signal d’alarme » pour les Etats-Unis. « J’espère que le lancement de l’intelligence artificielle DeepSeek par une société chinoise sera un avertissement pour nos industriels et leur rappellera qu’il faut rester très concentrés sur la concurrence pour gagner », a-t-il dit. Le président américain avait annoncé un grand projet d’infrastructure d’IA pour un montant de 500 milliards de dollars.
Marc Andreessen, un investisseur et proche conseiller de Donald Trump, a qualifié DeepSeek de tournant « pour l’IA », comme l’était « Spoutnik », en référence au lancement du satellite soviétique qui avait déclenché la course à l’espace durant la guerre froide. La Chine ambitionne de devenir leader de l’IA d’ici 2030, avec des investissements prévus de plusieurs dizaines de milliards d’euros dans ce domaine au cours des prochaines années.
• Appels à la prudence sur la protection de la vie privée
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes appellent à la prudence face à cette IA encore méconnue. Le ministre australien de l’Industrie et des Sciences a aussi fait part ce mardi de ses préoccupations en matière de protection de la vie privée, invitant les utilisateurs à être « très prudents ».
« Il y a beaucoup de questions auxquelles il faudra répondre sur la qualité, les préférences des consommateurs, la gestion des données et de la vie privée », a déclaré Ed Husic à la télévision nationale ABC. Le ministre a rappelé que les entreprises chinoises différaient parfois de leurs rivales occidentales en ce qui concerne la protection de la vie privée des utilisateurs et la gestion des données.
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