Qu’est-ce que la neutralité du net, ce principe fondamental sur lequel les États-Unis reviennent à nouveau?
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Les États-Unis rétropédalent encore sur la neutralité du net. Une cour d’appel américaine de Cincinnati, dans l’Ohio, a aboli jeudi 2 janvier ce principe fondateur d'internet.
Un internet neutre, ça veut dire quoi ?
Le principe de neutralité du net, théorisé par Tim Wu, un professeur de droit de l'université de Columbia en 2003, c'est le fait que les fournisseurs d’accès à internet (FAI) n’ont pas le droit de permettre un accès plus rapide à certains contenus ou services plutôt que d’autres et inversement, de les filtrer. Autrement dit, ils n'ont pas de droit de regard sur les contenus qui passent par leurs tuyaux. Ce qui signifie concrètement que le blog que votre tonton anime sur les boules à neige bénéficiera du même traitement en termes de flux qu’un grand site d’informations comme celui de rfi.fr. Il garantit donc en théorie un accès égalitaire à internet.
Certains pays ont adopté des lois pour protéger la neutralité du net. Aux États-Unis, en 2015, l’administration Obama avait mis en place une règlementation obligeant les fournisseurs d’accès à respecter ce principe, sous peine de sanctions. Le républicain Donald Trump avait abrogé ce principe durant son premier mandat, mais la Federal Communications Commission (FCC), le régulateur américain des télécommunications, a rétabli en avril 2024 ce cadre règlementaire. « Chaque consommateur mérite un accès à internet rapide, ouvert et équitable », avait alors déclaré Jessica Rosenworcel, présidente de la FCC, ajoutant que ce principe « garantit que vous puissiez aller où vous voulez et faire ce que vous voulez en ligne sans que votre fournisseur de haut débit ne fasse des choix à votre place. Elles indiquent clairement que votre FAI ne doit pas avoir le droit de bloquer des sites web, de ralentir des services ou de censurer des contenus en ligne ».
Depuis 2016, l’Union européenne aussi a intégré ce principe dans sa règlementation en imposant des obligations strictes aux FAI. En France, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), veille à son respect. « La neutralité du net, indique-t-elle sur son site, est l’un des principes fondateurs d’internet, qui exclut la création d’accès à internet “à plusieurs vitesses”, par une gestion favorisant certains flux d’information au détriment d’autres (discrimination), ou la création d’accès à internet limités (à certains contenus ou certaines plateformes) ».
Pourquoi ce principe est-il l'objet de débats ?
Ce principe fait l'objet de vifs débats aux États-Unis comme ailleurs. Pour certains, il est un garant des libertés et de l’égalité sur internet, mais d’autres y voient un frein au développement des entreprises et à l’innovation.
Du côté des pro-neutralité du net, on trouve des ONG de défense des libertés numériques et des consommateurs, ainsi que les grandes plateformes numériques pour qui ce principe est garant de la libre-concurrence. La neutralité du net les protège de voir un nouvel arrivant sur le marché ou un concurrent payer pour un traitement prioritaire qui nuirait à leur compétitivité.
Du côté des opposants, il y a surtout les fournisseurs d’accès. « Notre combat pour empêcher le contrôle injustifié du gouvernement sur internet a été gagné », s’est d'ailleurs réjoui Grant Spellmeyer, directeur du groupe de télécom ACA. Pour eux, cette dérégulation est synonyme de manne financière, avec la possibilité de faire payer des abonnements plus chers pour un meilleur débit ou l’accès à certains services. Leur principal argument est que le développement du réseau coûte cher et que la fin de la neutralité du net leur permettrait d'investir davantage.
Un argument dont Brendan Carr, que Donald Trump a désigné pour reprendre la présidence de la FCC, et qui s’est aussi félicité de cette décision de justice, s'est fait écho. Ce farouche opposant à la neutralité du net estime qu'elle conduit à considérer les télécoms comme des services publics, moins prompt à investir dans les réseaux internet ultrarapides. Un argument battu en brèche par les défenseurs de la neutralité du net, comme l'ONG Free Press : « Traiter le haut débit comme un service public ne freine pas et ne dissuade pas du tout l'investissement privé dans cette infrastructure cruciale ».
Quelles conséquences pour les utilisateurs ?
Avec la fin de la neutralité du net, c’est le risque que les opérateurs télécoms dominants comme Verizon, Comcast ou AT&T aux États-Unis puissent ralentir ou censurer certains sites, et favoriser d’autres services, créant des voies « rapides » ou « lentes ». C’est ce qui s’est passé après la dérégulation de 2017 : certains FAI ont bridé les services des fournisseurs de contenus comme YouTube, Netflix ou le service vidéo d'Amazon Prime, sous prétexte de gérer la congestion du réseau. Poussant les utilisateurs à payer pour des abonnements plus coûteux afin d'éviter ces limitations.
La fin de l'obligation pour les fournisseurs d'accès de respecter la neutralité du net peut aussi nuire à termes à la diversité des contenus en ligne en favorisant les grandes entreprises qui disposent de moyens financiers assez importants pour négocier des accords de priorité avec les opérateurs télécoms. Au détriment des petites startups et des créateurs de contenu indépendants.
« La décision d'annuler la neutralité du réseau aura un effet dévastateur sur la liberté d'expression en ligne », a déclaré Jenna Leventoff, de l'Union américaine pour les libertés civiles.
Mais cette décision ne signifie pas la disparition de la neutralité du net partout. Après 2017, plusieurs États avaient tenté de garantir ce principe en adoptant leurs propres législations. C’est le cas de la Californie, siège de la Silicon Valley qui abrite les plus grandes entreprises du numérique. Mais aussi du Colorado, de l’Oregon, du Vermont et de l’État de Washington.
SOURCE https://www.rfi.fr/fr/monde/20250104-qu-est-ce-que-la-neutralit%C3%A9-du-net-ce-principe-fondamental-sur-lequel-les-%C3%A9tats-unis-reviennent-%C3%A0-nouveau
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